Module 6 – Table ronde 3
Information et influence : peut-on concilier vérité et viralité sur les réseaux sociaux ?
Avec l’essor des plateformes numériques, les créateur.ice.s de contenu sont devenus des acteur.ice.s majeurs de l’écosystème médiatique, notamment auprès des jeunes publics qui privilégient les réseaux sociaux pour s’informer. Cette évolution bouscule les modèles traditionnels d’information et pose des problématiques concrètes : comment les contenus influencent-ils la compréhension des enjeux sociétaux ? Quels garde-fous peuvent être mis en place pour prévenir la désinformation ? Enfin, quels outils pédagogiques et quelles compétences critiques sont nécessaires pour permettre aux publics de naviguer sereinement dans ce nouvel environnement informationnel ?
Cette conférence – organisée en mai 2024 à Marseille au sein de La Fabulerie – interroge ces problématiques et revient sur les distinctions entre influence et création de contenu, sur les nouveaux défis imposés par les plateformes numériques, ainsi que l’importance cruciale de l’éducation aux médias pour répondre aux enjeux d’un écosystème informationnel en perpétuelle évolution.
Avec nos invités Judith Caceres – doctorante en Sciences de l’information et de la Communication à Avignon Université – et Jérémy Ciepielewski – administrateur de l’association Un Bout des Médias.
L’influence dans les médias : entre perception négative et potentiel positif
Historiquement, le terme influence a souvent été connoté négativement et associé à des pratiques manipulatrices ou à une diffusion d’informations biaisées. Pourtant, dans le cadre de la création de contenu, cette influence peut être réinterprétée comme une capacité à engager les publics de manière positive. Les créateurs de contenu, qui souhaitent se distinguer des influenceurs traditionnels, en revendiquant souvent ce rôle en mettant en avant l’authenticité et la valeur éducative de leurs productions.
Cette distinction est d’autant plus importante que les créateurs, parfois appelés vidéastes, cherchent à s’éloigner des stéréotypes associés à la télé-réalité ou à des pratiques commerciales perçues comme superficielles. Leur démarche inclut généralement une diversité de compétences – de la conception à la diffusion – et une volonté de construire une relation durable et transparente avec leur audience.
L’engagement communautaire et la responsabilité informationnelle
Les créateurs de contenu ne se contentent pas simplement de produire des vidéos ou des publications. Ils investissent dans la création de communautés fortes, fondées sur la confiance et l’interaction. Cette dimension relationnelle, bien que positive, comporte une responsabilité accrue en matière d’information.
Dans un contexte où la confiance envers les médias traditionnels s’effrite, de nombreux publics se tournent vers ces créateurs pour obtenir des informations, souvent sur des sujets complexes. Cependant, cette proximité peut amplifier le risque de désinformation si le contenu publié n’est pas rigoureusement vérifié. En ce sens, les créateur.ice.s jouent un rôle clé dans la médiation de l’information, tout en étant exposés à des attentes élevées en matière de transparence.
Les nouvelles formes de consommation médiatique et leurs implications
L’essor des plateformes comme TikTok et Instagram a profondément modifié la manière dont les jeunes générations s’informent. Les contenus courts et condensés dominent, favorisant une consommation rapide mais souvent superficielle de l’information. Ce changement oblige les créateurs de contenu à adapter leurs formats, tout en posant des questions sur la profondeur, la fiabilité et la légitimité des messages transmis.
Cette évolution affecte également les médias traditionnels, contraints d’adopter de nouveaux codes visuels et narratifs pour maintenir leur pertinence. Cependant, les limites des formats numériques – notamment leur tendance à privilégier le sensationnalisme ou les contenus viraux – soulignent l’importance de développer des outils pédagogiques pour aider les utilisateurs à naviguer dans ce flux d’informations parfois trompeur.
Défis éthiques et pédagogiques pour les créateurs
Les créateurs de contenu doivent faire face à des défis variés, parmi lesquels :
- La gestion des « bad buzz » : Une erreur ou un partenariat controversé peut rapidement déclencher une tempête médiatique, fragilisant leur relation avec leur audience.
- La multiplication des plateformes et la nécessité de produire du contenu adapté à chacune d’elles génèrent une pression constante sur les créateur.ice.s, ce qui peut entraîner une baisse de la qualité ou une perte de créativité due à l’épuisement.
- La modération et la régulation : Bien que les algorithmes et les signalements communautaires jouent un rôle dans la gestion des contenus problématiques, les créateur.ice.s restent en première ligne lorsqu’il s’agit d’assurer la qualité et l’éthique de leurs productions.
Ces défis sont amplifiés par l’absence de normes claires concernant la responsabilité des plateformes, encore souvent considérées comme de simples hébergeurs plutôt que comme éditeurs de contenus. Des initiatives comme le RGPD et le DSA au niveau européen cherchent à combler cette lacune en établissant des règles plus strictes pour protéger les utilisateurs et encadrer la diffusion de contenus.
Le rôle de l’éducation aux médias dans un monde numérique
Face à ces transformations, l’éducation aux médias devient un outil fondamental pour aider les publics – et en particulier les jeunes – à développer un esprit critique. Elle permet de :
- Questionner les sources d’information : Apprendre à identifier les contenus fiables et à repérer les signes de désinformation.
- Comprendre les algorithmes : Reconnaître comment les plateformes priorisent certains contenus pour maximiser l’engagement, parfois au détriment de la véracité.
- Naviguer dans un écosystème complexe : Développer des compétences pour analyser les motivations des créateur.ice.s et les enjeux économiques ou politiques qui influencent leurs productions.
En parallèle, les créateur.ice.s eux-mêmes doivent intégrer ces principes dans leurs pratiques. Certains adoptent déjà des approches proches du journalisme éthique, en s’efforçant de vérifier leurs informations et de promouvoir des messages équilibrés.
Conclusion
Le rôle des créateurs et créatrices de contenu dépasse largement le simple cadre du divertissement. En occupant une position centrale dans l’écosystème numérique, ils et elles disposent à la fois du pouvoir et de la responsabilité d’éduquer et d’informer leurs audiences.
Pour relever ces défis, une action concertée est essentielle. Cela implique l’élaboration de politiques publiques adaptées, une régulation plus rigoureuse des plateformes numériques, ainsi qu’un renforcement significatif de l’éducation aux médias. Une telle collaboration entre les créateurs, les institutions et les publics est indispensable pour bâtir un espace numérique qui valorise une information fiable et soutient une citoyenneté critique et éclairée